Serious Game en salle : quelles postures pour le formateur ?

Conceptrice de serious games pendant plus de 10 ans, en particulier de simulations et de mises en situations managériales, j’ai abordé de nombreux projets de formation sous l’angle du besoin client. Celui-ci s’exprimait le plus souvent par l’attente d’un retour sur investissement (ROI), et donc d’une efficacité pédagogique mesurable. Comment l’obtenir ?

Une publication proposée par Valérie Sallaz, designer pédagogique indépendante. Valérie enseigne le management et la gestion de projets, conseille des entreprises, et s’appuie sur une expérience de conceptrice interactive acquise notamment auprès de Daesign.

Cet article relate une expérience d’enseignement du management en formation initiale (niveau master), fondée essentiellement sur l’utilisation de serious games en salle. Il analyse l’impact de cette méthode sur la posture du formateur et propose des pistes de réflexion quant aux outils d’accompagnement qui devraient être mis à la disposition des enseignants et formateurs. A ce stade, et à défaut d’une évaluation quantifiée des compétences acquises et d’une comparaison avec les résultats obtenus dans une approche traditionnelle, il restitue en conclusion la perception qualitative des étudiants quant à l’intérêt de cet enseignement. Compte tenu du profil des étudiants, de la densité des groupes et des scénarios pédagogiques mis en œuvre, ces conclusions paraissent parfaitement transposables à des cas de formation continue en entreprise.

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De la conception à l'animation

Conceptrice de serious games pendant plus de 10 ans, en particulier de simulations et de mises en situations managériales, j’ai abordé de nombreux projets de formation sous l’angle du besoin client. Celui-ci s’exprimait le plus souvent par l’attente d’un retour sur investissement (ROI), et donc d’une efficacité pédagogique mesurable. Comment l’obtenir ? S’agissant de serious games, cette efficacité découle d’un travail fin sur le game design, et son imbrication étroite avec le scénario, les objectifs et les contenus pédagogiques. On favorise de cette façon l’implication et l’attention soutenue, et un meilleur ancrage des connaissances et compétences acquises sur la durée.

Je consacre désormais une partie de mon temps à l’enseignement ; j’interviens auprès des élèves de Master 2, spécialité Stratégie et Communication Digitale (Université Savoie Mont-Blanc), et de ceux du Master 1 Transmédia (Sciences Po Grenoble), sur les thématiques du management et de la gestion de projet.

J’ai naturellement choisi le serious game comme modalité, et en ai fait l’épine dorsale de mon cours. En accord avec Daesign, éditeur de référence dans le domaine, j’ai fait le choix de baser l’animation des séances (une quinzaine d’heures par groupe) sur l’utilisation de 3 serious games de son catalogue :

  • Gérer son temps
  • Déléguer une tâche/une mission
  • Manager à distance

Le bilan de l’expérience est très positif : j’ai pu constater l’efficacité de l’outil, et le plaisir que prennent les apprenants à l’utiliser. Mais j’ai surtout pu mesurer l’impact de l’usage du serious game en salle sur le rôle même du formateur. La préparation du cours, les modalités d’animation, la posture adoptée en salle en sont transformées.

Conceptrice, mes questions étaient : « l’interaction entre l’apprenant et le serious game se déroulera-t-elle comme je l’imagine et lui apportera-t-elle les bénéfices que le produit lui promet ? ».

Formatrice, cette question est devenue : « Quand je vois les étudiants s’impliquer, réfléchir à voix haute, se défier… quelle posture de formatrice dois-je adopter en séance pour tirer parti de cette énergie ? ».

Au terme de l’expérience, j’en distingue trois…

1. Le formateur-concepteur

C’est le cas très particulier – et évidemment non généralisable –  dans lequel je me suis trouvée lors des premières sessions. J’ai utilisé deux serious game dont j’avais activement contribué à l’écriture, et dont je connaissais le scénario, le gameplay, l’interface, et surtout le modèle.

J’entends par « modèle » l’ensemble des règles, principes, bonnes pratiques et outils pris comme référence, et la façon dont le scénario les articule pour déterminer les enchaînements d’action, le calcul du score, le choix des feedbacks… tout ce qui constitue le cheminement et la progression de l’apprenant.

De fait, ayant moi-même créé ou co-créé les modèles sous-jacents aux simulations et à leur mise en scène, j’étais armée pour recevoir, et même anticiper tout commentaire ou question de la part des apprenants, et y répondre de manière argumentée.

J’ai donc naturellement placé l’utilisation des serious game au cœur des séances de cours. J’en ai fait leur fil rouge et principal support. Les étudiants (12 au total) jouaient en sous-groupes ou collectivement. La session était systématiquement suivie d’une restitution collective. J’ai traité les points du programme non couverts par les jeux de manière traditionnelle (apport théorique et cas pratiques) dans des séquences dissociées.

En deux mots :

  • Les séquences serious game, une fois lancées, génèrent une dynamique propre, ce sera le cas à chaque fois : les étudiants accrochent, s’impliquent dans leurs choix, interagissent entre eux et avec le jeu.
  • Les messages pédagogiques sont transmis au fil des échanges qui s’instaurent naturellement durant les séquences de jeu. Il est aisé ensuite de les expliciter et mettre en évidence lors de la restitution qui donne lieu à de nombreux commentaires et débats.

Les séquences de cours traditionnel sont alors vécues comme en rupture avec les précédentes, et il est difficile d’en maintenir le lien et la fluidité.

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2. Le formateur-utilisateur

C’est le schéma le plus courant, que j’avais déjà pu observer dans divers projets. Le Serious game est fourni au formateur au titre d’outil pédagogique (comme pourraient l’être des manuels scolaires ou d’autres supports, digitaux ou non), et celui-ci l’intègre à son cours, dans une ou plusieurs séquences.

J’ai eu l’occasion de m’approcher de cette posture, car un des serious game que j’ai utilisé ne m’était pas aussi familier que les autres. Je l’avais pratiqué, j’en connaissais le scénario et les principes, mais n’en maitrisais pas le modèle sous-jacent.

J’ai mis en œuvre les mêmes modalités pédagogiques que lors des premières sessions, en privilégiant l’utilisation en sous-groupes et/ou collective, suivie d’une mise en commun.

En deux mots :

  • Les séquences de jeu et de restitution sont interactives, dynamiques, comme précédemment.
  • Ça reste donc très positif, mais à double tranchant… Les questions, critiques, idées émises par les étudiants foisonnent : « Pourquoi ce résultat ? », « Si on avait fait ce choix, qu’est-ce qui se serait passé ? ». Il est parfois délicat de répondre à ces questions qui concernent les fondements du jeu… comme de ne pas y répondre. Et ça peut être frustrant, car ces moments sont toujours l’opportunité d’un échange constructif pour l’apprentissage.
  • De même, il est difficile de sortir du cadre prévu par le jeu et de laisser place à l’improvisation et à l’adaptation. Les deux sont pourtant nécessaires car les étudiants – et c’est bien le but – ne se gênent pas pour sortir du cadre. Adopter des stratégies volontairement contre-productives (autrement dit, « faire tout faux ») par exemple, et voir quelles conséquences elles génèrent, est souvent leur premier réflexe. On peut le faire pour le seul plaisir, mais l’exploiter pédagogiquement en discutant des effets obtenus et de leurs causes, c’est encore mieux.
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3. Le formateur-maître du jeu

Aguerrie après ces premières expériences, j’ai abordé différemment les dernières séances. J’ai travaillé avec les concepteurs du jeu jusqu’à connaître parfaitement le modèle qu’ils avaient mis au point.  Je les ai questionnés sur les fondements théoriques, les partis-pris, la philosophie générale et les cas particuliers. J’ai ensuite conçu une structure prenant le serious game pour centre comme dans les autres cas, mais j’ai enrichi les séquences de restitution en passant plus de temps sur l’extraction des idées clés, les bonnes pratiques à retenir, les connaissances théoriques associées, qu’elles soient ou non couvertes par le serious game, à différents degrés d’approfondissement.

Autrement dit, j’ai fait du serious game non seulement le support de transmission initial, mais aussi de construction du reste du cours.

En deux mots :

  • Les séquences de jeu ont affiché le même degré d’intensité et d’interaction. Les questions, suggestions, prises de positions et débats ont démontré la capacité du jeu à susciter un apprentissage actif, engagé et spontané.
  • La séance est fluide, elle forme un tout cohérent, sans rupture de rythme.
  • L’espace de liberté des étudiants s’est avéré maximal. S’adapter en temps réel à leurs idées, leurs envies, parfois leurs défis, en insistant toujours sur ce qu’ils projettent, et ensuite ce qu’ils en retirent est possible si on le juge pertinent.
  • Mon espace de liberté de formatrice a lui aussi été maximisé. Il s’est manifesté à travers deux prérogatives clés du maître de jeu traditionnel des jeux de rôle :
    • Le maître de jeu définit les missions : il s’appuie sur le scénario du serious game mais peut choisir de s’en écarter, par exemple : demander aux apprenants un résultat décalé qui les oblige à réfléchir différemment et apporte un éclairage oblique, fait expérimenter différentes conséquences et de nouveaux défis.
    • Il détient et exprime « la vérité du jeu ». Les réponses aux questions des apprenants qui ne seraient pas fournies par le serious game lui-même relèvent de la pleine responsabilité du formateur. Il est libre d’imbriquer sa vision des choses dans celle du jeu, et s’offre ainsi une possibilité supplémentaire d’amener les étudiants vers des réflexions pertinentes et constructives.

Dès lors, le terme de « Maître de jeu » prend tout son sens. Et le mot « jeu » désigne alors aussi bien le serious game, que le formateur maîtrise et utilise à sa guise, que toute la séance d’apprentissage.

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Dans sa posture de maître de jeu, le formateur valorise son expertise personnelle, ses connaissances, sa vision de la thématique qu’il enseigne. Il joue un rôle transversal et complet.

Le serious game, super pouvoir du formateur ?

A ce stade n’allons pas jusque-là, mais l’utilisation du serious game est un réel bénéfice, et ce quelle que soit la posture adoptée, car :

  • Le niveau d’interaction est élevé : entre les étudiants et le jeu, entre les étudiants eux-mêmes, et entre les étudiants et le formateur. Qui dit interactif dit vivant, dynamique, impliquant… conditions excellentes pour un apprentissage efficace.
  • Les formats sont variés : les messages pédagogiques sont transmis via les consignes, les animations, les dialogues, les feedbacks… et bien sûr à travers les nombreux choix proposés à l’apprenant. Qui dit variété dit chasse à l’ennui, mais aussi complexité, défi, sollicitation des capacités cognitives et de la créativité.
  • Le serious game, et particulièrement la simulation, permet d’essayer, jauger, recommencer, comparer… Qui dit apprentissage par essai-erreur dit progression.
  • Un gameplay, avec mission, objectifs, niveaux de difficulté, challenges, score… fait d’un serious game un jeu digne de ce nom. Qui dit jeu dit plaisir et motivation.

S’y ajoutent la liberté d’action offerte aux apprenants, une séance fluide et propice aux échanges de bout en bout… si l’on est dans la posture du formateur-maître du jeu. Cela nécessite donc de connaître les arcanes du serious game.

Mais quels sont les moyens dont dispose le formateur pour y parvenir ? Etre formé par les concepteurs, bien sûr, mais aussi jouer, jouer et encore jouer… tester au moyen d’une séance pilote, toujours riche d’enseignements. Le prix n’est pas si élevé si l’on y regarde de près, d’autant que le temps investi initialement sera récupéré par des séances plus légères à préparer. Et bien sûr, pas question de le faire seul.

Une formation dispensée par les personnes qui ont conçu l’outil est une solution simple et accessible, mais d’autres outils, comme des guides du formateur (papier, et/ou en ligne et interactifs), peuvent répondre au besoin, de façon plus légère et souple.

Charge aux éditeurs d’intégrer l’usage en salle dès la conception des serious games, et de prévoir les outils associés. Ceux-ci permettront aux formateurs de s’approprier rapidement et facilement les produits, et d’y associer leur propre expertise. Tout le monde en sortira gagnant, et en premier lieu les apprenants.

Justement… qu’en disent-ils ?

L'avis des étudiants

Je reviendrai dans un article ultérieur sur les réactions détaillées des étudiants, pendant et après les séances. En attendant, un questionnaire en ligne m’a permis d’obtenir quelques premiers retours. A chaque affirmation, les étudiants ont répondu sur une échelle de 0, signifiant « Pas du tout d’accord » à 5, signifiant « Tout à fait d’accord ».

Sur les questions concernant l’intérêt global qu’ils ont trouvé à utiliser les Serious games, voici les résultats :

AffirmationNote moyenne obtenue /5

L’utilisation des Serious games a rendu le cours :

. Plus vivant

. Plus moderne

. Plus efficace pour apprendre

4,8

4,7

4

Par rapport à un cours « traditionnel », j’ai l’impression que :

. J’ai mieux compris

. J’ai mieux retenu/mémorisé

. Je saurai mieux appliquer

4,1

4,2

4,2

Pédagogiquement c’est intéressant parce que :

. On s’implique, donc on se concentre

. On confronte nos choix

. On compare la situation virtuelle avec notre expérience

4,6

4,5

4,2

Pour l’instant subjectifs mais très encourageants, ces résultats seront étendus dès l’année prochaine à un panel de plus de 100 étudiants, ce qui permettra la mise en place, le test et la comparaison de plusieurs modalités. De la matière en perspective…

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