Digital learning-by-doing : la parole est aux apprenants

Si la formation, la communication des savoirs et plus largement la fabrication des compétences sont entrées dans l’âge de leur transformation digitale, on n’a encore presque rien vu des ruptures que celle-ci promet.

Si la formation, la communication des savoirs et plus largement la fabrication des compétences sont entrées dans l’âge de leur transformation digitale, on n’a encore presque rien vu des ruptures que celle-ci promet. Car si le web a renversé la table et transformé le monde en une vaste conversation, qu’en sera-t-il bientôt du « digital learning » ?

Apprendre en faisant, en expérimentant, est une pratique plus féconde mais aussi plus motivante que les méthodes qui séparent l’apprentissage de la pratique. Le « learning-by-doing » se répand dans les grandes écoles et les formations managériales en entreprises. On veut donner aux apprentissages une tournure toujours plus pratique. La formation digitale d’aujourd’hui participe de cette prise de parole, prise d’initiative, et même prise de pouvoir des apprenants.

Mèche lente

La révolution numérique de la formation a commencé il y a 15 ans, mais elle sera restée longtemps une révolution à mèche lente.

Au cours de sa première décennie, elle a produit le e-learning, qui restera dans les mémoires pour avoir été à l’apprentissage ce que le formica fut à la table de cuisine : une solution utilitariste, pratique, pas chère, devant laquelle on n’avait aucune envie de rester assis mais qui remplissait la fonction assignée par le cahier des charges. Il n’aura pas manqué grand-chose au e-learning, sauf l’essentiel : l’émotion, le talent, la motivation, le plaisir de se sentir là pour quelque chose et d’y trouver du sens.

A son crédit, le e-learning aura été à son tour la tête de gondole, le produit d’appel des plateformes LMS, autre affirmation de l’utilitarisme, côté infrastructure cette fois. Ces plateformes sont entrées partout, comme l’horloge mécanique au XIVe siècle, et avec elles la ruée vers la mesure : mesure des apprentissages, des connaissances transmises, des connaissances acquises… Les LMS ont mis la formation en abscisses et en ordonnées, diffusé – avec efficacité – quantités de modules de toutes sortes, même si, depuis lors, ils mesurent principalement de la désaffection.

Trois désirs et des starts-up

En soi, ça n’a rien d’une surprise. La faillite du « web 1.0 », emporté par la crise de 2001, était celle d’un web descendant, à sens unique, avec d’un côté les producteurs de contenus et de l’autre les consommateurs, soit le modèle de la télévision appliqué à Internet. La régénérescence est venue d’un renversement de paradigme, celui incarné notamment par les réseaux sociaux avec Friendster en 2002, MySpace en 2003, et bien sûr Facebook en 2004. Ces nouveaux services ont bâti leur succès et puisé leur énergie de croissance dans un triple désir exprimé par leurs utilisateurs : participer (créer et publier), dialoguer (être en lien), s’exprimer (être unique).

Dans le même temps, la formation digitale naissante ressuscitait le vieux modèle, vertical et descendant. Il aura vécu 15 ans. Nombre de chemins créatifs auront certes été explorés, l’un des plus féconds étant celui du serious game avec son immersion, ses simulations, ses atours à la fois motivants et pratiques. Mais pour l’essentiel, pendant que le web tout entier entrait en effervescence, la formation digitale au sein des entreprises faisait du numérique… sans vraie révolution.

Et puis la mèche a touché la poudre, et l’on peut situer la bascule autour de 2014. C’est alors vraiment que le secteur de la formation digitale est entré en ébullition. On n’en prendra pas seulement pour indices la floraison de startups, les investissements en capital-risque, l’émergence d’un secteur dit « EdTech » ou de plateformes plus participatives, mais de nouvelles formes de contenus qui mettent les apprenants au centre et manifestent leur prise de pouvoir.

Learning by doing, learning by making…

Participer, dialoguer, s’exprimer : voici les trois moteurs qui vont transformer le digital learning. Certes, la réalité augmentée va y contribuer aussi, ou la réalité virtuelle, ou leur mélange dans la réalité mixte et combien d’autres futures nouvelles technologies. Mais elles seront des moyens de représenter l’expérience et ne doivent pas être confondues avec elle.

L’expérience d’apprentissage, ce sera d’abord, et de plus en plus, « faire », c’est-à-dire participer et créer. Les outils numériques n’ont pas vocation à être descendants, centrés sur la mémorisation, mais au contraire à solliciter la capacité d’imagination, d’essai-erreur et de réalisation des apprenants. Le jeu vidéo nomme « bacs à sable » les gameplays fondés sur la liberté d’initiative et d’invention du joueur. Minecraft, acquis par Microsoft en 2014, en est un exemple, d’ailleurs utilisé en éducation. Mais l’avènement « d’environnements d’apprentissage bacs à sable » va bouleverser la formation digitale et lui permettre d’accompagner les apprenants jusqu’à des niveaux de compétences auparavant inaccessibles. On n’aura jamais été aussi près du réel. Le design et les technologies, notamment l’intelligence artificielle, permettent de fournir des espaces de simulation et d’expérimentation dans lesquels s’immerger et interagir avec un grand degré de liberté en même temps que de réalisme, et cela vaut y compris pour les soft-skills, par exemple la négociation ou le leadership.

… Learning by sharing

Qui dit « faire », imaginer et proposer ses propres solutions, suppose aussi de partager l’expérience et d’ouvrir un dialogue avec un expert ou un tuteur à même d’évaluer la démarche, de questionner et conseiller, et par là de solidifier le processus d’apprentissage. C’est la création de lien, que les apprenants valorisent au plus haut point pour donner sens à leur action, à leurs questionnements et à leur progression. C’est aussi la deuxième dimension qui manque aujourd’hui à la formation digitale, dans laquelle l’apprenant est trop souvent aux prises avec un système fermé et entièrement scripté, qui agit comme un simple distributeur de contenu et se conclut par un contrôle de connaissances. Le digital learning de l’avenir multipliera les moyens offerts aux apprenants de générer leurs propres contenus tout au long de leur expérience, et de partager ces résultats avec un accompagnateur personnel.

Enfin, et même s’il s’agira peut-être d’une dimension moins prégnante en matière de formation qu’avec les réseaux classiques, ne négligeons pas la motivation de rayonnement, de réputation, voire d’influence qui anime les amateurs de partage social. Car formation signifie compétence, et compétence crédibilité, employabilité pour certains, pouvoir pour d’autres. Affirmer ses compétences à travers des contenus partagés, uniques et valorisants, c’est participer à la création collaborative de ces mêmes savoirs chez d’autres, mais c’est aussi un actif de carrière, et partant une motivation.

Learning by doing, learning by making, learning by sharing, c’est la complète inversion de paradigme attendue d’une formation enfin 2.0. Parce qu’elle est plus efficace, plus motivante et plus scalable, c’est à elle, que nous devons préparer nos outils, modes de conception et stratégies d’accompagnement des apprenants.

Points-clés

  • Au « learning-by-doing », le digital ajoute deux dimensions fondamentales : learning by making, c’est-à-dire vraiment « faire » et produire ses propres contenus, et learning by sharing, c’est-à-dire échanger avec son tuteur ou avec ses pairs.
  • L’avenir du blended learning est dans le coaching personnalisé à distance, seule approche qui concilie l’échange suivi dans la durée, la construction accompagnée des compétences, et la capacité de passer à l’échelle.
  • L’avenir de la formation digitale est dans les environnements d’apprentissage « bacs à sable ». Bienvenue pour 10 ans !

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